Palabre avec les arbres
Auteur : Patrick Beurard-Valdoye

Patrick Beurard-Valdoye, 2021 :
On a planté des feuillus pour ombrager les beaux quartiers ; on les a arrachés pour le stationnement des voitures. On plante à présent des arbres au cœur des cités pour mieux y respirer.
Mais l’arbre est aussi un mât mémoriel irrigué par l’histoire et les mythes. Associé à une figure historique, il contribue à élargir sa dimension légendaire ou à la rectifier. Il est fréquent de croiser sur son chemin allemand, le « chêne de Hölderlin » ou celui de Schiller. Et quand « l’arbre de Goethe » du camp de Buchenwald fut atteint par les bombes alliées, le proche démantèlement de l’enfer sembla confirmer la légende associée au chêne.
Si communiquer avec un arbre est affaire délicate, ce qu’il nous communique peut l’être aussi. Sous la connaissance pointent quelques racines de l’inconnu. Hugo confère aux arbres des savoirs mystérieux : « Arbres de la forêt, vous connaissez mon âme ! » Les représentations de cet insu font merveille : Rimbaud reconnaît au wasserfall blond une déesse à la cime argentée des sapins ; Ponge voit le mimosa « comme un personnage de la comédie italienne » ; pour Ghérasim Luca, « les arbres sont des idées élancées et chaque feuille une pensée aux abois. »
C’est dans cet humus que croît mon modeste arboretum, ma communauté d’arbres singuliers. Le plus souvent ces rencontres résultent de périples. Mais le déracinement n’a pas valeur de dogme : quelques arbres de l’enfance, d’une lenteur attachante, en disent long.
* * *
les rais de fin d’après-midi cajolaient
les grands fays sans ivraie
leurs fûts aux yeux cicatrisés
l’affaire prit une autre tournure
avec cette toile d’araignée
dans un tronc en trident
deux orbites la trouée de bouche
sous celle du nez un masque
mortuaire filiforme et vibrant
qui nous laissa sans voix
Paru le 25 novembre 2021
Éditeur : José Corti
Poème
de l’instant
« Les roses de Saadi »
J’ai voulu, ce matin, te rapporter des roses ;
Mais j’en avais tant pris dans mes ceintures closes
Que les nœuds trop serrés n’ont pu les contenir.
Les nœuds ont éclaté. Les roses envolées
Dans le vent, à la mer s’en sont toutes allées.
Elles ont suivi l’eau pour ne plus revenir ;
La vague en a paru rouge et comme enflammée :
Ce soir, ma robe encore en est tout embaumée…
Respires-en sur moi l’odorant souvenir.