Historiens de l’Antiquité (n°945-946, janvier-février 2008)

En gratifiant Hérodote du titre de « Père de l’Histoire », la tradition humaniste accomplissait d’un même geste un double partage : en direction du futur, elle saluait l’émergence d’une discipline nouvelle, encore embryonnaire certes, mais qui bientôt trouverait en Thucydide un énergique tuteur ; en direction du passé, elle rejetait dans les limbes incertains du mythique ou du légendaire les pratiques mémorielles antérieures, celle de l’épopée et des premiers auteurs de « généalogies ». Ce faisant, elle accomplissait un acte historiographique, puisque la discipline se trouvait ainsi pourvue d’un monument fondateur et d’un prestigieux point d’origine. Proclamer un acte de naissance permettait de disposer d’un terme à partir duquel dérouler jusqu’à nos jours un progrès ininterrompu. On sait que ce modèle évolutionniste n’est plus guère de mise depuis l’implosion des recherches historiques qui s’entêtent à demeurer plurielles — malgré les efforts répétés, surtout chez les tenants de la pensée néo-libérale, pour les réunifier sous les bannières paradoxalement conjointes du néo-positivisme et de la philosophie idéaliste du sujet. Le fructueux éclatement de l’Histoire en une multitude d’histoires a sérieusement écorné l’idéologie essentialiste d’une discipline « une et indivisible ». Avec l’abandon d’une vision téléologique et unifiée des phénomènes historiques, la question ne saurait plus être de savoir si l’Histoire naît avec Thucydide ou si elle existait déjà chez Hérodote. Il s’agit de suivre à la trace l’émergence et la permanence de procédures intellectuelles diverses, à travers des types de discours variés, en faisant place à une réflexion globale sur toutes les pratiques mémorielles d’une culture, de manière à repérer quelles sont les configurations spécifiques qui émergent dans les mondes grec ou romain et qui en font l’originalité. Que la réflexion des contributeurs de ce numéro d’Europe porte sur Hérodote, Xénophon ou Plutarque, sur les « règles du jeu pour étudier l’histoire antique », sur la singularité des représentations grecques du temps ou encore sur les relations complexes de l’histoire avec le mythe, la religion ou la poésie, on trouvera dans ces pages d’excellentes raisons, en ces temps de doute épistémologique et de scepticisme, pour continuer à faire de l’histoire…
ÉTUDES ET TEXTES DE
Bernard Mezzadri, Arnaldo Momigliano, Pierre Brulé, Wolfgang Rösler,
Reinhold Bichler, David Bouvier, Claude Calame, Claude Mossé,
Pierre Ellinger, John Scheid, Dominique Buisset, Aldo Schiavone,
Fabio Roscalla, Pauline Schmitt Pantel, Luciano Canfora, Pierre Vidal-Naquet.
Poème
de l’instant
Le Poids vivant de la parole
On peut écrire, et l’on écrit ;
On peut se taire, et l’on se tait.
Mais pour savoir que le silence
Est la grande et unique clef,
Il faut percer tous les symboles,
Dévorer les images,
Écouter pour ne pas entendre,
Subir jusqu’à la mort
Comme un écrasement
Le poids vivant de la parole.