Fenêtres

Luis Mizón

FENETRES

I

Entre ciel et ciel
mon rêve se trompe
de chemin
de jardin
de silence
le bleu rêve de lui même
au plus profond de la pierre
et dans le cristal des algues
il apprend à respirer
le bleu rêve dans chaque goutte de pluie
l’averse ouvre et ferme ses ailes
d’ange noir
et tourne dans son lit
il nous offre
son corps de danseuse
pour nous apprendre à écouter
le regard qui rebondit dans le regard

rêve de mon corps
fleur ouverte
dans la farine poussiéreuse du ciel
maison ouverte
pétales d’un bateau échoué
depuis longtemps sur le sable
la carcasse de ses côtes en désordre
garde la musique de ma peau

je porte en moi la caresse du bleu
jusque dans la semence
de mes fondations

je rêve d’une fenêtre
d’un carré blanc
d’un citron jaune
un mur
un abri

la fenêtre juge librement
toutes les affaires du bleu
elle est l’origine
du bleu

II

Les chaines de ma pauvreté se sont cassées
mille oiseaux se sont échappés
vers l’horizon
ils sont partis avec mes économies
ou plutôt mes jours rigoureusement économisés
j’ai fermé la fenêtre
il ne me restait rien à regarder

alors j’ai dessiné des violons des bougies des x rouges
correspondants à chaque jour de disparition d’un jour
mais les jours ne retournaient pas
ils ne se sont pas repentis
ils préféraient partir en riant en chantant

j’ai muré la fenêtre avec du ciment et des briques
et j’ai dessiné sur la blancheur de la chaux des danseuses et des anges
que j’avais trouvés naguère dans le rêve d’un peintre disparu ou exilé ou les deux
ils se sont mis à danser

je les apportais tous les jardins comestibles que je trouvais dans la mer
ils se nourrissaient des papillons d’ombre
des papillons de murmures
de griottes chuchotées transformées en larmes

ma chambre est devenue la cellule d’un couvent envouté
et moi
personne

III

le ciel d’en face
cache
une foule de convives heureux
des invisibles calligrammes de la lumière
brillent dans les pupilles martelées de la mer
il y a de solitaires tristes ivres
beau parleurs ou muets
ils ont tous quelque chose en commun
personne n’a voulu acheter mes canaris
ils sont de vrais miracles
d’un lumineux éclat phosphorescent
toute une longue nuit
de porte en porte
de table en table
j’ai ramassé des regards indifférents
ce matin à la piscine
les gardiens jetaient des regards dissimulés
sur mes diamants défaits et sur mes canaris

j’attends les mots qui ne sont pas encore nés
dans la boue
dans les bas fonds
dans la cale des galères
des mots pris dans la gangue de l’abandon
de la cruauté
au milieu de la bêtise du poème
et de ses non dits

j’attends la voix aveugle du poème
et sa couleur nue.

Luis Mizon

Poème
de l’instant

Lydie Dattas

La foudre

J’entrai en poésie comme on passe une frontière sans savoir qu’on ne reverra pas son pays.

LYDIE DATTAS
La foudre
Mercure de France / 2022