Alain Jouffroy

Alain Jouffroy est né le 11 septembre 1928 à Paris. Membre du groupe surréaliste de 1947 à 1948, André Breton, René Char et Henri Michaux ont fait paraître ses premiers poèmes dans diverses revues. Cofondateur, avec Jean-Clarence Lambert, de la revue Opus international en 1967, il a été directeur de la revue XXème siècle, de 1974 à 1981.
Voyageur aux États-Unis, au Mexique, à Cuba, en Asie et en Afrique, il est l’auteur du film L’abolition de l’art (1968), scénariste et acteur du film de Serge Bard : Détruisez-vous (1968), de même que de plusieurs téléfilms sur le Dada et le surréalisme. Conseiller culturel de l’ambassade de France au Japon de 1983 à 1985 et organisateur des deux premiers sommets culturels franco-japonais, il a fait paraître une centaine de livres depuis 1954.
Prix Combat en 1960, Alain Jouffroy a reçu également les prix Apollinaire, Roger Caillois et Alain Bosquet.
Alain Jouffroy est mort le 20 décembre 2015 à Paris.

Extrait

HORS SANG

Ce qui se dit sur le bord de la route s’entend sur le bord du ravin.
Wou Tch’eng-en, Le Singe pélerin

Au bord de la route, j’ai dit
Mon être et j’ai dit mon néant.
Au bord de la route, j’ai dit
« Personne n’a encore jamais avancé assez loin. »
Au bord de la route, je me suis amusé
En piaffant, en sifflant, en parlant.
Au bord de la route, j’ai refusé
De tomber n’importe où, les pieds devant.
Au bord de toutes les routes de l’Orient,
Au Liban, en Syrie, en Abyssinie,
En Chine, au Japon et en Corée,
J’ai parfois dansé en chantant.

L’herbe du ravin a écouté mes chants,
L’herbe du ravin les a répercutés
Jusqu’aux profondeurs du néant.
L’herbe du ravin est mon passage à gué.
L’herbe du ravin ravit les mots de la gaieté.

Au bord de la route, j’ai continué à chanter.
Continué à psalmodier, à parler au ciel béant.
Au bord de la route, je n’ai jamais désespéré
Et j’ai rencontré d’innombrables passants.
Croisé des chevaux, des serpents, des éléphants.
Au bord de la route, j’ai agité ma cloche
Et quand je m’arrêtais, j’écoutais le silence.
J’entendais ce qui se trame sous les pieds.
Et puis je reprenais la route, en chantant toujours,
Tel le vagabond qui s’enfuit du nord.
Au bord de la route, je me suis fait des amis.
Et quand la nuit tombait, je leur parlais longtemps.
J’écoutais toutes leurs histoires de passants.
Tout ça m’a pris énormément de temps.

L’herbe du ravin était mon pain, mon vin.

Je m’y couchais souvent, fourbu de mille chemins.
Mon squelette pesait des centaines de kilos.
Mais, très tôt le matin, je me relevais
Pour continuer à suivre la grand-route
A l’écoute de tous les bruits du lointain.

Chère herbe du ravin, toi qui entends tout,
Tu m’as fait croire aux plus absurdes utopies.
C’était drôle, parfois, de te voir virer au noir.
Beau, si beau que j’en ai pleuré d’étonnement.
Chère herbe du ravin, tu m’as préservé de la gloire.
Je fais partie, depuis un bout de temps, de tous tes secrets.
J’ai disparu, grâce à toi, hors de tous les sangs.
Porteur de quelques présages,
J’ai lu dans toutes les cartes de la galaxie.

Au bord de la route, j’ai ressuscité l’amitié.
Je m’y suis donné, comme à Dieu dans sa tombe.
Au bord de la route, j’ai épousé l’herbe de vin
Mais j’irai, jusqu’à la fin, encore un peu plus loin,
Tel Charlie Chaplin.

Septembre 2003

Bibliographie

Poésie

Trans-Paradis-Express, Éditions Gallimard, 2007.
Être-avec, Éditions La Différence, 2007.
C’est aujourd’hui toujours, (1947-1998), Éditions Gallimard 2005.
Trajectoire, réédition, Éditions Gallimard, 2004.
Vies, précédé de Les mots et moi, Éditions Gallimard, 2003.
Anthologie de la poésie française à la première personne du singulier, Éditions du Rocher, 2002.
Ode à André Breton, un imagier d’Alain Jouffroy, Éditions Aldébaran, 2002.
C’est, partout, ici (1955-2001), Éditions Gallimard, 2001.
À toi, collection "Jeune poésie NRF", Éditions Gallimard, 1958.

Essais

Rimbaud nouveau, essais de l’interlocuteur permanent, Éditions du Rocher, 2003.
Stanislas Rodanski, une folie volontaire, Éditions Jean-Michel Place, 2002.
De l’individualisme révolutionnaire, suivi de Le Gué et de Correspondance avec Philippe Sollers, collection "Tel", Éditions Gallimard, 1997.
Manifeste de la poésie vécue, collection "L’infini", Éditions Gallimard, 1995.
La fin des alternances, Éditions Gallimard, 1970.
Une Révolution du regard, À propos de quelques peintres et sculpteurs contemporains… Éditions Gallimard, 1964.

Roman

Caffé Fiorio, une heure avant la fin de l’effondrement de Nietzche, Éditions du Rocher, 2004.
La vie réinventée, l’explosion des années 20 à Paris, réédition corrigée, Éditions du Rocher, 2004.
Rimbaud, Napoléon, Cherbourg et l’Externet, Éditions Joca Seria, 2002.
Conspiration, collection "L’infini", Éditions Gallimard, 2000.
Objecteurs artmakers, Éditions Joca Seria, 2000.
Le monde est un tableau, textes sur l’art moderne et l’avant-garde, Éditions Jacqueline Chambon, 1998.
Dernière recherche de l’âme, demain, roman et le CD-Rom, Éditions du Rocher, 1997.
Le Temps d’un livre, Éditions Gallimard, 1966
Un Rêve plus long que la nuit, Éditions Gallimard, 1963.

Récit-récitatif

Trajectoire, Éditions Gallimard, 1968.
Le Mur de la vie privée, Éditions Grasset, 1960.

Entretiens

Une petite cuiller dans le bol, du surréalisme à l’Externet en passant par l’individualisme révolutionnaire, entretiens avec Gianfrance Baruchello, Renaud Ego et Malek Abbou, Éditions Paroles d’Aube, 1998.
Marcel Duchamp, conversation, Éditions Dumerchez pour le livre, Éditions du Centre Pompidou pour le CD de la conversation, 1997.

Aquarelles et gouaches